Médias et opinion : ce que nous pensons ou ce A quoi nous pensons ?
Dans une société saturée d’informations, le débat public semble parfois régi par des logiques insaisissables. Pourquoi certains sujets dominent-ils les discussions tandis que d’autres disparaissent dans les marges de l’actualité ? L’agenda-setting theory formulée par McCombs et Shaw en 1972 éclaire ce phénomène : les médias ne disent pas aux individus quoi penser, mais sur quoi porter leur attention.
Par la répétition et la hiérarchisation des sujets, les médias façonnent la perception du réel. Ce qui est jugé important dans l’espace public ne découle pas nécessairement de l’intérêt intrinsèque des faits, mais de leur mise en avant par des canaux d’information influents. Ce processus oriente nos préoccupations et, par extension, nos débats politiques et sociaux.
Mais cette mise en agenda ne s’arrête pas aux frontières du choix des sujets. Elle s’articule à une dynamique plus profonde, théorisée par Noam Chomsky et Edward S. Herman sous le nom de fabrique du consentement. Leur analyse, appliquée notamment aux démocraties modernes, met en lumière les mécanismes invisibles par lesquels les médias – sous l’influence d’intérêts économiques, politiques et idéologiques – encadrent non seulement les thèmes du débat, mais aussi les cadres d’interprétation.
Loin d’un complot médiatique centralisé, cette fabrique du consentement repose sur des filtres structurels : la dépendance à la publicité, la concentration des grands groupes médiatiques, les sources institutionnelles privilégiées, ou encore l’effet d’autocensure par alignement avec des normes dominantes. Ainsi, la construction de l’opinion publique est le fruit d’un double processus : orienter l’attention (agenda-setting) et en définir les clés de lecture (consentement manufacturé).
À l’ère des réseaux sociaux, ces mécanismes se recomposent. Loin de diversifier réellement l’agenda médiatique, les plateformes numériques favorisent une polarisation algorithmique, où la visibilité d’un sujet dépend moins de son importance collective que de son potentiel de viralité. Résultat ? Un agenda fragmenté, dicté autant par des stratégies d’influence que par des logiques d’engagement affectif.
Face à cette fabrique de l’attention, une question reste ouverte : comment reprendre le pouvoir sur ce qui mérite d’être discuté ? La clé réside sans doute dans l’éducation aux médias, le développement d’une pensée critique, et l’encouragement d’un journalisme qui interroge ses propres biais. En définitive, si nous ne pouvons totalement nous soustraire à ces dynamiques, nous pouvons en prendre conscience – et choisir, à notre tour, de poser les bonnes questions.